La réforme en cours de l’éducation prioritaire

Madame/Monsieur la/le Président-e, Madame la Ministre, Mes chers collègues,

La France est l’un des pays de l’OCDE où le lien entre la condition sociale de l’élève et sa performance scolaire est le plus fort. Notre système éducatif est l’un de ceux qui reproduit le plus les inégalités sociales et ça fait plus de 10 ans que notre pays trône dans les hauteurs de ce classement.

Pour celles et ceux qui font de l’école le pilier de l’émancipation des hommes et des femmes, cette réalité doit nous alerter et nous faire regarder en face un système en panne. Cette réalité est ressentie par toutes et tous mais surtout par les enseignants. 

Le 25 janvier, et durant les 17 jours suivants, deux enseignants du collège Lucie Aubrac de Givors, au sud de Lyon, ont entrepris une grève de la faim pour demander le classement de leur établissement en REP+. 

17 jours. 17 jours pour demander de l’attention.  17 jours pour demander des moyens pour leurs élèves et leur réussite scolaire : ce courage doit tous nous interpeller.

Notre manière d’envisager la lutte contre les inégalités, notre politique d’éducation prioritaire fonctionne très mal. Doter en moyens humains et financiers, les établissements selon des critères sociaux, alléger les classes pour un meilleur suivi des élèves, et renforcer la formation des enseignants : tous ces outils sont cruciaux. 

Pourtant, les écarts dans la maîtrise des compétences de base en français en troisième sont actuellement de l’ordre de 35 % entre collèges ÉCLAIR et collèges hors éducation prioritaire. Ce chiffre sonne comme un aveu d’échec et nous appelle à repenser le système. C’est face à ce constat que le gouvernement engage la refonte de l’éducation prioritaire.

Dans ces grandes lignes, et selon les quelques informations que nous avons jusqu’ici : 

  • Exit les établissements classés en simple REP – seul les REP+ devraient être pérennisés – , 
  • Exit la logique de réseau entre établissements. 

Désormais, la contractualisation sera de mise, avec des moyens en fonction des besoins des établissements, mais selon des critères établis au niveau national – le tout, expérimenté sur trois académies à compter de la rentrée prochaine en vue d’une généralisation en 2022. 

Plusieurs craintes vis-à-vis cette réforme, qui n’est pour l’instant qu’une esquisse. Tout d’abord, le financement. Madame la ministre, lors de votre audition au Sénat en décembre dernier, vous avez annoncé que l’expérimentation se ferait à moyens constants MAIS avec des moyens supplémentaires alloués. Outre l’évidente contradiction entre ces deux affirmations, la question financière est au cœur du problème. 

Car si la logique de contractualisation est poussée à son terme, avec la volonté d’y faire entrer de nouveaux établissements et le tout sans augmentation significative des moyens, cela signifie nécessairement que des transferts financiers vont avoir lieu, d’établissements en difficulté vers d’autres établissements en difficulté. Il y aura forcément des gagnants et des perdants, sans que l’on ne sache aujourd’hui qui sera précisément concerné.

Vient ensuite la question des critères. Là encore, Madame la ministre, il y a une incohérence à vouloir d’une part établir des critères nationaux objectifs pour ouvrir droit à votre nouvelle politique et d’autre part, laisser la porte ouverte à la contractualisation avec tout l’arbitraire induit qui pourrait créer de fortes disparités entre les territoires.

Enfin, la réforme proposée pose la question de l’enseignement privé. Le secrétaire général de l’enseignement catholique se réjouissait lors d’une conférence de presse de l’entrée du privé catholique dans la nouvelle politique de l’éducation prioritaire. Ce qui favorise la réussite d’une communauté éducative, c’est la mixité entre des élèves bons et moins bons, et entre des élèves issus de milieux aisés et moins aisés. Or, le privé assèche certains territoires en attirant à eux les bons élèves qui peuvent se le permettre, dans leurs établissements. Leur action va à l’encontre des principes même d’une politique éducative soucieuse de réduire les inégalités. Dès lors, comment concevoir que ces établissements pourraient prétendre à des moyens, à des fonds, normalement dévolus à des structures en difficulté ? Cette décision est extrêmement problématique.

Madame la ministre, nous ne réduirons pas les inégalités éducatives – qui sont, je le rappelle, les inégalités de revenus, de salaire, de logement – à périmètre financier constant, avec plus de bénéficiaires et en faisant des cadeaux au privé. Il nous faut, au niveau national, une grille claire et transparente de répartition des crédits, progressive, sur des critères socio-éducatifs et de mixité. Pour réduire réellement les inégalités, il faudra transférer des fonds depuis les établissements qui réussissent le plus, qui ont le plus de moyens, vers ceux en difficulté. 

De la même façon que pour le logement social nous travaillons à la mixité dans les villes en fixant un cadre de répartition afin que les villes les plus aisées prennent leur part, il est temps de travailler à la mixité dans nos établissements en fixant un cadre clair sur des critères objectifs. Ce n’est pas un “nivellement vers le bas”, mais une politique solidaire qui s’attaque aux inégalités dans les 2 sens. Comme notre sécurité sociale, “De chacun selon ses moyens, à chacun selon ses besoins”, tout le monde doit contribuer à l’intérêt général.

Je vous remercie.

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