Madame/Monsieur la/le président-e,
Madame la ministre,
Madame la rapporteure,
Mes chers collègues,
Restituer ce qui a été mal acquis par le passé. Cet impératif dans le monde de l’art occupe intensément notre calendrier parlementaire ces derniers mois.
Entre le projet de loi de restitution des biens au Sénégal et au Bénin, la proposition de loi du Sénat sur le conseil scientifique de restitution aux pays extra-européens et le texte que nous examinons aujourd’hui, notre assemblée porte une attention particulière à l’éthique de nos collections.
Le présent projet de loi diffère toutefois des deux autres car il fait référence à une spoliation plus récente, massive et spécifique. Celle des juifs de France.
Cette spoliation a précédé leur génocide, un génocide appuyé et organisé avec la complicité de l’Etat français.
Spolier, voler des œuvres d’art appartenant à des individus en raison de leur appartenance, c’était vouloir les déposséder d’une part de leur sensibilité, de leur culture et briser les chaînes de transmission des idées et des valeurs.
Très tôt, lorsque la machine génocidaire s’est mise en place, ce processus à été combattu par quelques rares, trop rares, combattants de l’ombre.
Ou plutôt combattantes, car je pense évidemment à Rose Valland et son incroyable travail d’archives, de référencement, de suivi qui a permis, à la Libération, de retrouver la trace de la plupart des oeuvres spoliées par l’occupant nazi.
Son travail a par la suite guidé toute une politique nationale de restitution dans l’immédiat après-guerre qui – si elle n’a pas été parfaite – a permis de restituer une grande majorité des œuvres à leurs propriétaires ou à leurs ayants-droit.
Il y a eu tout d’abord les travaux de la Commission de récupération artistique qui ont permis d’identifier 85 000 œuvres spoliées, d’en retrouver 61 000 et d’en restituer rapidement plus de 45 000.
Les 16 000 restantes ont été soit vendues – pour plus de 13500 d’entre elles – soit confiées aux musées nationaux récupération, les MNR, dont le bilan est bien plus mitigé – le mot est faible.
Le rythme s’est ralenti très très fortement au bout de 5 ans.
Rappelons que depuis 1950, 178 œuvres seulement ont été restituées sur les plus de 2 000 mises entre leurs mains.
Pendant plus de 50 ans, la question des restitutions disparaît quasiment de notre société : “un secret de famille dans le monde des musées, de l’art, de la culture” comme le dit notre ancienne collègue sénatrice écologiste, Corinne Bouchoux. dans son rapport de 2013.
Ce rapport, auquel je tiens aujourd’hui à rendre hommage, insiste sur l’importance cruciale des recherches de provenance.
De manière systématique. Qu’il s’agisse des œuvres stockées dans les MNR, mais aussi pour toutes les autres, acquises par nos musées entre 1933 et 1945. Il en va de l’éthique de nos collections.
C’est d’ailleurs cette réflexion, menée à tous les niveaux, qui a quelque peu accéléré un processus, dormant, depuis de trop nombreuses décennies.
43 œuvres ont ainsi pu être restituées depuis 2012 grâce à des recherches proactives. Un vaste travail de recherche de provenance est effectué en ce moment même par nos musées comme celui du Louvre et cela doit être salué.
Les œuvres que ce projet de loi propose de restituer à leurs ayants droits s’inscrivent dans cette histoire longue et tragique et chacun de ces articles sont particuliers dans leur histoire, leur trajectoire et le processus qui a permis de déterminer les ayants droits.
Tantôt grâce aux recherches des ayants-droits eux-mêmes et de leurs avocats, tantôt par le biais de généalogistes, tantôt par l’Etat grâce au travail de la CIVS (Commission d’indemnisation des victimes de spoliations) : nous légiférons sur des parcours uniques.
“Rosiers sous les arbres” de Gustav Klimt, les 12 oeuvres de la collection d’Armand Dorville, “Carrefour à Sannois de Maurice Utrillo” et “Le Père” de Marc Chagall sont ici des morceaux d’histoire que nous nous apprêtons à restituer.
Nous sommes aujourd’hui réunis pour donner un aval à ces restitutions par voie législative, unique moyen, et fin d’un trop long processus, pour que ces oeuvres retournent à leurs ayant droits, moyen de réparer le préjudice, de rétablir le respect et la dignité pour les familles de victimes de la barbarie.
Naturellement, mon groupe écologiste salue ces restitutions.
Pour la justice, même après des décennies d’oubli.
Pour la reconnaissance des crimes du passé et œuvrer, par le biais de l’art, à en réparer une partie.
Pour la vérité enfin, dont la culture de notre pays se doit être le porte-drapeau. Surtout en ces temps de confusions et de réécriture de l’histoire.
Ce débat nous amène comme à chaque fois qu’on évoque des restitutions, sur la question d’une loi cadre. Une loi pour accélérer les processus, trop long, tout en garantissant un processus scientifique et historique sérieux.
La nécessité d’une telle loi semble partagée par de plus en plus d’acteurs, qu’il s’agisse du Conseil d’Etat, de l’historien David Zivie, et même de la rapporteure à l’Assemblée nationale du présent texte de loi qui appelle à approfondir ce sujet.
Entendons-nous bien, la restitution de biens de l’époque coloniale à des pays africains et la restitution de biens spoliés durant la seconde guerre mondiale à des particuliers recouvrent des situations tout à fait différentes.
Mais la réflexion que nous menons pour l’un, doit pouvoir enrichir l’autre. Pourquoi, par exemple, ne pas envisager une formation spécifique aux biens spoliés par les persécutions antisémites au sein du conseil scientifique de la proposition de loi de nos collègues Brisson, Morin-Dessailly et Ouzoulias ?
Car s’il y a deux réalités différentes, il y a en fait un seul et même impératif : la recherche de la vérité, de la justice, de l’éthique de nos collections et de la concorde entre les hommes, les peuples et les générations à travers l’art.
Rendre ce qui a été mal acquis honore et grandit notre politique culturelle. C’est un élan qui prend – heureusement – de plus en plus d’ampleur aujourd’hui.
Ce projet de loi y participe, c’est pourquoi les écologistes voteront résolument pour.