Limiter le paiement en espèces

Madame, Monsieur la/le Président-e,
Monsieur le Rapporteur,
Madame/Monsieur la/le Ministre,
Mes chers collègues,

La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui, et initiée par le groupe RDSE, entend renforcer la lutte contre le blanchiment d’argent et la fraude fiscale en limitant les paiements en espèces. 

Elle vise notamment à réduire le seuil des transactions en espèces à 1 000 euros, à interdire le paiement des loyers en liquide, et à supprimer les exemptions pour les personnes sans compte bancaire. Ces mesures, bien que portées par une volonté de transparence financière, soulèvent des questions majeures d’inclusion sociale et ratent totalement leur cible, si celle-ci est bien la fraude et le blanchiment.

La lutte contre la fraude et le blanchiment d’argent sale est un objectif que nous partageons tous. Le fléau du narcotrafic qui touche durement notre pays appelle des réponses fortes de la part de l’Etat, dans ces domaines.

Mais cette proposition de loi manque sa cible. Elle n’aura aucun impact sur les fraudeurs ou les narcotrafiquants, dont les lessiveuses et autres mécanismes de blanchiment à grande échelle n’auront que faire de cette ppl. 

En revanche, elle va impacter durement certaines de nos concitoyennes et concitoyens, en particulier les personnes les plus vulnérables. Le recours aux espèces reste aujourd’hui une réalité pour de nombreux ménages en difficulté, qui utilisent l’argent liquide non seulement comme moyen de paiement, mais aussi comme réserve de valeur. 

Supprimer les dérogations pour les personnes sans compte bancaire va compliquer le quotidien des plus précaires. Rappelons que, bien qu’un droit au compte existe en France, des obstacles réels persistent. Les démarches pour l’obtenir via la Banque de France, les restrictions liées aux services bancaires avec autorisation systématique, et l’absence de découvert autorisé compliquent l’accès aux services financiers, rendant ce droit souvent très théorique. 

Exiger des personnes précarisées de trouver des alternatives à l’argent liquide pour des transactions supérieures à 1 000 euros, y compris pour le paiement des loyers, pourrait accentuer les difficultés et, dans certains cas, conduire à accélérer leur exclusion.

Par ailleurs, la mesure visant à plafonner les transactions entre particuliers pourrait également poser problème. Actuellement, ces échanges sont libres de toute limite en matière de paiement en liquide, bien qu’un écrit soit requis au-delà de 1 500 euros. Imposer un plafond de 1 000 euros, même dans ce cadre, pourrait restreindre des habitudes de paiement courantes, comme lors de ventes d’occasion ou de prêts informels. En limitant cette liberté, la loi risquerait de pénaliser des pratiques ordinaires qui, jusqu’ici, n’ont pas fait l’objet de soupçons d’illégalité.

Enfin, le groupe écologiste a soutenu la nécessité d’une harmonisation européenne en matière de limitation des paiements en espèces dans le rapport de la Commission d’enquête sur le narcotrafic – et je salue à cette occasion le travail de mon collègue Guy Benarroche pendant les travaux de cette commission. Cependant, la fixation d’un seuil aussi bas à l’échelle nationale, alors que l’Union européenne préconise un plafond de 10 000 euros dans un souci d’harmonisation, soulève la question de la cohérence avec nos partenaires européens.

De plus l’ampleur des sommes brassées par le narcotrafic est dans un tout autre ordre de grandeur. Les travaux du journaliste spécialiste des mafia, Roberto Saviano, ont mis en évidence le rôle des cartels et de leurs liquidités colossales issues du trafic de cocaïne lors de la crise de 2008. Recyclées par les banques américaines et européennes ces liquidités ont, selon lui, largement sauvé les banques lors de la crise des subprimes. C’est vertigineux et cette proposition de loi est donc hors de proportion de ce qu’il faudrait mobiliser pour lutter contre le blanchiment.

Au-delà de ces considérations, la question de la liberté des paiements, en espèce, touche à la philosophie politique. Est-ce le rôle d’une société libérale de vouloir imposer un contrôle aussi renforcé des échanges monétaires entre acteurs économiques ? 

En conclusion, bien que cette proposition de loi vise un objectif louable, les mesures proposées doivent être examinées avec prudence. La lutte contre la fraude et le blanchiment est essentielle, mais elle ne doit pas se faire au détriment des populations les plus fragiles. Pour toutes ces raisons, notre groupe a choisi de s’abstenir sur ce texte.

Je vous remercie.

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