Madame/Monsieur la /le Président, Monsieur le Rapporteur, Monsieur le Ministre, Mes chers collègues,
“Dans les CRA, des associations sont à demeure et assurent l’assistance juridique des personnes retenues. Elles ont des options politiques et sont militantes. Elles sont financées par de l’argent public pour, en fait, venir contrer la politique d’immigration définie par le gouvernement. Elles sont financées à hauteur d’un milliard d’euros […]. Nous devons sortir les militants pour y mettre des professionnels.”
Ce que je viens de vous lire mes chers collègues, c’est le véritable exposé des motifs de cette proposition de loi que son auteure a livré dans Paris Match mercredi dernier. Une vision stigmatisante, partiale et en grande partie mensongère, dont chacun des points peuvent être contredits. Alors allons-y.
“Les associations sont à demeure et assurent l’assistance juridique des personnes retenues”. C’est, de fait, la seule affirmation exacte contenue dans ces propos que je viens de relayer. Les associations interviennent bien dans les Centres de Rétention Administrative, depuis leur création. Depuis 2010, leur rôle a évolué pour une mission visant à apporter un accès effectif aux droits des personnes enfermées. Cette mission est encadrée par la loi, notamment les articles L. 744-9 et R. 744-20 du Ceseda, et par un marché public contracté avec le ministère de l’Intérieur. Leurs intervenants sont des professionnels dotés de compétences juridiques spécifiques qui informent de manière personnalisée sur les droits, les décisions et les procédures et alertent les autorités sur les dysfonctionnements constatés dans les CRA. Ces missions requièrent une expertise, une présence effective et une indépendance garantie par le cahier des charges du marché public.
“Les associations auraient des options politiques et seraient militantes”. Ce fait est sans objet à partir du moment où personne ne constate de manquement des associations dans l’exercice des missions qui leurs sont confiées. Elles interviennent dans le cadre strict du marché public qui leur a été confié et rendent compte régulièrement de leurs actions aux responsables des centres et à la Direction générale des étrangers en France (DGEF). Affirmer que les associations entraveraient les politiques en aidant les personnes à exercer leur droit constitutionnel au recours est un non-sens, sauf à considérer que faire respecter le droit est incompatible avec la bonne marche des politiques publiques.
“Elles sont financées par de l’argent public pour, en fait, venir contrer la politique d’immigration définie par le gouvernement”. Si l’accès au droit et l’action en justice, facilités par les associations, viennent contester ou « contrer » les décisions de l’administration, c’est bien souvent parce que ces décisions elles-mêmes sont entachées d’illégalités ou d’irrégularités. Confier ces missions à un opérateur chargé lui-même de mener la politique d’éloignement porte en soit le germe du recul des droits des personnes retenues.
Le nombre important de personnes libérées par les juges chaque année – 44% en 2024 – démontre l’utilité de l’action en justice et l’existence de nombreuses irrégularités dans les procédures d’interpellation ou d’éloignement, et non une action militante des associations. La massification du contentieux n’est pas le fait d’un mouvement volontaire des associations, comme le sous-entend la proposition de loi. Elle est la conséquence directe de l’inflation législative permanente sur ces questions qui ont complexifié le droit et l’ont conditionné à une politique du chiffre. La Cour des comptes elle-même, dans son enquête de décembre 2024, le reconnaît que les associations remplissent bien leurs missions d’assistance juridique. Les associations jouent un rôle essentiel dans ces lieux fermés au public que sont les CRA : elles sont la principale source de données publiques non gouvernementales sur l’enfermement et permettent de constater et de dénoncer les indignités, les abus, les violations de droits. Mettre fin à leur présence, c’est vouloir occulter la réalité des conditions de la rétention administrative.
“Ces associations sont financées à hauteur d’un milliard d’euros”. On assiste là à un détournement de la vérité, on mélange tout. Le budget de la mission Immigration, asile et intégration DANS SON ENSEMBLE s’élève à environ 1,7 milliard d’euros pour 2025. Cette mission couvre des dépenses bien plus vastes, incluant notamment l’hébergement des demandeurs d’asile. Quel est le coût réel de l’assistance juridique aux personnes retenues dans les CRA par les associations ? 7,4 millions d’euros en 2024. On est sur un rapport de 135. Excusez de l’ampleur de l’approximation. Rien de mieux qu’une grosse manip pour faire passer un texte aussi bancal.
“Nous devons sortir les militants pour y mettre des professionnels”. Il s’agit tout simplement d’une insulte faite au travail des associations. Le secteur associatif emploie en France plus d’un million et demi de personnes. Les intervenants associatifs dans les CRA sont des professionnels dotés de l’expertise et des compétences juridiques nécessaires pour cette mission complexe. L’alternative proposée par la PPL, consistant à confier ces tâches à L’OFII, soulève quant à elle d’énormes difficultés et nous apparaît profondément irréaliste. Au-delà des conflits d’intérêts qui ont été évoqués, je rappelle que le schéma d’emploi global pour l’OFII voté au PLF 2025 est en diminution (-29 ETP) et qu’on peut se demander qui va accomplir les nouvelles tâches prévues par la PPL.
En conclusion, cette proposition de loi repose sur des approximations, des erreurs factuelles grossières, des contresens juridiques et des biais politiques évidents. Elle vise à museler les voix indépendantes dans les CRA, à réduire l’accès au droit des personnes retenues et à affaiblir le rôle crucial d’observation et d’alerte des associations. Nous avons dans ce texte, exposé clairement, la vision de la droite sénatoriale au sujet de la politique migratoire : mensongère, déshumanisante et indigne. Le respect des droits et libertés ne doit pas être une variable d’ajustement de cette politique du chiffre. Nous voterons contre ce texte. Je vous remercie.