Financement des entreprises de l’industrie de défense française

Madame/Monsieur le/la Président-e,
Monsieur le rapporteur,
Monsieur le Ministre,
Mes chers collègues,

Tromperie, arnaque, piratage : les mots pour qualifier cette ppl sont nombreux quand vous l’évoquez avec le commun des français attachés à leur livrets d’épargne réglementée. 

Le texte que nous examinons aujourd’hui n’est en réalité pas nouveau mais sa genèse en dit beaucoup sur l’intention des auteurs. Il a fait pour la première fois son apparition comme amendement à la loi de programmation militaire, adopté par le Parlement, puis retoqué par le conseil constitutionnel. Puis de nouveau comme amendement au projet de loi finances 2024 et de nouveau retoqué par le conseil constitutionnel. Cette double tentative de cavalier législatif n’est pas anodine concernant ce texte, c’est le symptôme d’une volonté de passer en douce, par effraction pour faire main basse sur l’épargne populaire des français. 

Oui nous assistons aujourd’hui à une tentative de flibusterie sur l’épargne réglementée. Vous souhaitez utiliser les encours non centralisés du Livret A et du Livret de développement durable et solidaire pour financer la base industrielle et technologique de la défense (BITD). Pour le dire simplement : financer les marchands de canons en prenant dans les livrets avec lesquels les français pensaient financer le logement ou le développement durable. 

Alors, est- ce que l’industrie de défense est au bord du gouffre ?

La loi de programmation militaire, adoptée il y a quelques mois, prévoit un effort sans précédent en direction des armées : 413 milliards d’euros de budget pour les armées d’ici 2030.

Notons que l’Etat a aussi des participations dans la BITD, via l’agence des participations de l’Etat (cela représente 30% de son portefeuille) et que BpiFrance et la caisse des dépôts ont également déjà des participations dans le secteur. Notons aussi qu’il existe de nombreux fonds d’investissement publics privés, que l’Etat a mis en place de nombreux fonds dédiés comme Rapid (Régime d’appui aux PME pour l’innovation duale), Astrid (Accompagnement spécifique des travaux de recherches et d’innovation Défense) ou le Fonds innovation Défense (FID). Notons enfin la création de l’AID, avec son guichet pour structurer la filière innovation défense.

Le résultat ? Une grande dynamique des commandes à l’exportation : 27 milliards d’euros en 2022, un chiffre inégalé.

Plus structurellement, le secteur de la défense a connu les mêmes évolutions que le reste de la sphère privée du pays : privatisation, financiarisation, recherche accrue du profit. La différence majeure avec les autres activités – et chacun pourra le constater – c’est que c’est un secteur qui reste biberonné de manière intense par la commande publique, notamment par le biais de la puissante direction générale de l’armement (DGA).

Alors oui, malgré ce soutien massif, c’est vrai il subsiste un problème de financement. Il se situe, pour les entreprises de défense, dans le passage du stade de start-up à celui d’ETI ou de grand groupe et c’est ce que la PPL prétend résoudre. Mais, mes chers collègues, s’il y a un problème à ce sujet, c’est parce que l’investissement privé fait défaut. Ce sont les banques qui sont frileuses, principalement car l’industrie de défense n’est pas une activité qui rentre dans les critères ESG. C’est donc avant tout un problème d’image et d’éthique, qui doit se régler avec les banques. 

Pourquoi donc, si même les banques et investisseurs privés sont réticents, ce serait à l’épargne réglementée des français de combler les trous ?

On a beaucoup parlé aussi de technologies duales, pour souligner les bénéfices apportés par le secteur de la défense. Mais si, dans les années 50, la défense était leader de l’innovation avec 60% du total des technologies portées à maturité du pays, aujourd’hui ce chiffre est tombé à 20%. C’est en fait l’inverse qui se passe aujourd’hui, ce sont les technologies civiles qui irriguent le secteur de la défense, dans le domaine des matériaux, de l’IA, de l’énergie. Dire qu’il y a un besoin vital de soutenir l’innovation défense pour le pays est donc factuellement faux.

Rappelons que le Livret A a été créé en 1818 pour la reconstruction du pays après les ravages causés par les guerres napoléoniennes. Le boucher de l’Europe à l’époque était français. On est donc dans un esprit diamétralement inverse à celui de la PPL que nous examinons aujourd’hui : il s’agit historiquement d’un outil financier créé par et pour la paix. 

L’objectif principal du livret A, connu de tous, celui pour lequel le Livret A reste populaire, est de financer le logement social. S’il faut réformer, ajuster, tendre vers quelque chose, c’est vers l’augmentation de la recentralisation de des encours pour soutenir ce secteur, au vu de la crise du logement que traverse le pays. Si ouverture il y a sur les encours, nous estimons bien plus urgent de les flécher vers le logement que vers les marchands de canon.

Enfin plus grave encore, le LDDS. Le livret développement durable et solidaire. Le livret de financement de la transition écologique. Rien à voir avec la défense et l’armement. Je l’ai dit en commission et je le répète : il s’agit d’un détournement de l’épargne des français, d’une arnaque pure et simple qui va jouer sur l’ignorance de la population. Nous vous proposerons, à ce titre, outre la suppression de l’article 1, de renommer le LDDS en y ajoutant clairement sa nouvelle nature militaire, car il y aurait tromperie sur la marchandise en gardant le titre actuel.

Nous vous proposerons aussi une clause de revoyure du dispositif à 2 ans. Vos motivations sur ce texte sont un peu confuses, mes chers collègues de la majorité sénatoriale. J’ai entendu de nombreux arguments, notamment celui du conflit en Ukraine. Si l’enjeu est de soutenir l’effort de guerre ukrainien, alors il faut le dire et il faut instaurer une clause de revoyure, au vu de la situation sur place.

Nous en sommes convaincus, l’épargne réglementée des français doit n’avoir que des objectifs vitaux pour le pays : à savoir loger les français et faire face à la crise climatique.

C’est pourquoi nous voterons contre ce texte. Je vous remercie.

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