Reconnaissance biométrique dans l’espace public

Madame/Monsieur la/le Président-e
Monsieur le rapporteur,
Madame la Ministre,
Mes chers collègues,

“Créer un cadre juridique expérimental permettant, par exception et de manière strictement subsidiaire, le recours ciblé et limité dans le temps à des systèmes de reconnaissance biométrique sur la voie publique, en temps réel, sur la base d’une menace préalablement identifiée et à des fins de sécurisation de grands événements”

Ces mots, ce sont ceux de l’auteur de la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui, Monsieur Marc-Philippe Daubresse, à l’occasion de la loi relative aux Jeux olympiques, durant laquelle il définissait les contours du texte actuel.

Notons les précautions, les circonvolutions, les périphrases employées. Elles ne sont pas anodines et résument en réalité l’hypocrisie et les faux semblants qui sous-tendent le texte que nous étudions aujourd’hui. Car, en vérité, le procédé est toujours le même lorsqu’il s’agit de technologies de fichage et de surveillance de masse.

Par exemple, concernant les prélèvements ADN, ceux-ci ont été introduits dans notre droit en 1998, à la suite de l’affaire Guy Georges et ils concernaient à l’époque uniquement les condamnés définitifs pour les agressions sexuelles.

25 ans plus tard, le fichier national des empreintes génétiques regroupe 3 millions de personnes, avec une écrasante majorité de personnes non condamnées. Nous ne comptons plus les prises d’empreintes génétiques pour des participations à des manifestations par exemple – et le fait de refuser de s’y soumettre est désormais un délit passible d’un an de prison et 15000 euros d’amende. Et nous nous sommes habitués désormais au fichage de syndicalistes ou de militants politiques.

La vidéosurveillance a connu le même essor avec un usage exponentiel qui en a rendu l’usage massif, avec désormais, depuis la loi JO, la possibilité d’en laisser l’analyse à des algorithmes. Encore une fois dans le cadre d’une expérimentation qui sera généralisée soyons-en sûrs.

Car oui, à chaque fois, on commence par des expérimentations, des dispositifs réduits, des initiatives que l’on nous jure encadrées et qui aboutissent invariablement à des généralisations. Nos libertés publiques deviennent secondaires pour les apprentis sorciers de la société de surveillance.

Nous sortons à peine d’une loi, là aussi d’exception, pour légaliser la surveillance algorithmique durant les Jeux olympiques, que les fanatiques du flicage nous proposent d’aller plus loin.

Le risque antiterroriste sert comme à chaque fois de faux nez de la surveillance globale.

Qu’importe que la rapporteure spéciale sur la promotion et la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans la lutte antiterroriste pour l’ONU ait dénoncé dans son rapport l’utilisation du terrorisme comme justification politique pour adopter des technologies à haut risque.

Qu’importe que la Défenseure des droits souligne “un risque inhérent d’atteinte au droit au respect de la vie privée et à la protection des données”.

Qu’importe que le MIT (Massachusetts Institute of Technology) révèle que les technologies de surveillance automatisées présentent des préjugés liés au sexe et à la couleur de peau.

Il nous faudrait innover dans la société de contrôle, toujours plus loin, toujours plus fort sans jamais réfléchir au modèle de société que cela induit.

Que contient ce texte ? Tout d’abord, une forte dose d’hypocrisie. En effet, son article premier pose un cadre très fort d’interdiction pour empêcher la catégorisation, la notation ou la reconnaissance des personnes par les technologies de biométrie. Le tout assorti d’un contrôle sérieux du Parlement de la CNIL ou de la CNCTR (Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement). On aurait pu s’arrêter là, avec quelques sanctions pour des usages illégaux.

Mais que contient le reste du texte ? Une liste d’exceptions à cette interdiction générale. La biométrie ? Jamais.

Enfin, sauf pour :
– contrôler l’accès aux grands évènements,
– permettre l’exploitation d’images à posteriori pour retrouver des auteurs ou victimes d’infractions,
– surveiller des foules en direct lors d’événements dits “à risque”
– ou encore aider aux investigations des services de renseignement dans la lutte contre le terrorisme.
La liste est longue, mais elle sera trop courte pour un prochain gouvernement qui pourra rajouter à souhait des exceptions supplémentaires.

A partir du moment où vous acceptez, avec ce texte, la dissémination, la prolifération de ces technologies, alors vous devrez en assumer l’usage, qui deviendra général, n’en doutez pas.

Ce texte est un cadeau de bienvenue à un prochain gouvernement plus autoritaire puisqu’il n’aura qu’à pérenniser l’usage de la biométrie en rallongeant la liste des usages possibles.

Celles et ceux qui sont attachés à la devise républicaine, notamment le premier terme gravé au fronton de nos mairies, celui de liberté, devraient être horrifiés par ce texte. Les garde-fous n’y changeront rien : l’autorisation même partielle de ces technologies ne fera qu’en multiplier leur développement, leur usage et la société de surveillance mettra à mal notre démocratie.

L’usage politique de ces technologies ne sera pas entravé par les garde-fous. Les dérives politiques de la surveillance policière sont déjà très concrètes. La Lettre A se faisait encore l’écho la semaine dernière d’un bras de fer entre Matignon et Beauvau quant à la surveillance et la mise sur écoute de militants écologistes.

Nous le savons également, l’enjeu n’est pas que sécuritaire, il est aussi économique. Beaucoup appellent – et ces ambitions ont été énoncées très clairement durant les débats sur la LOPMI – à promouvoir, soutenir et développer des champions français de la techno-sécurité. Un écosystème privé, gavé à la commande public, dédié à satisfaire tous les fantasmes sécuritaires du Gouvernement, voire à lui en offrir de nouveaux.

Au nom de la défense des libertés publiques, nous, écologistes, refusons avec force le projet de société que vous défendez avec ce texte. Une société du fichage, du flicage, de l’abolition du privé et de l’intime. Un continuum de sécurité qui considère tout comme une donnée à traiter, jusqu’au phénotype même des individus. Un carcan indépassable qui n’a qu’une visée : le contrôle, partout et tout le temps.

C’est pourquoi, nous vous proposerons la suppression de la plupart des articles qui composent cette proposition de loi dangereuse et que nous voterons contre ce texte.

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