Contrôler l’immigration et améliorer l’intégration

Madame/Monsieur la/le Président,
Monsieur le ministre,
Mes chers collègues,

Quatre ans après l’entrée en vigueur de la dernière loi asile immigration, Monsieur le ministre de l’intérieur vous vous présentez donc devant nous avec un nouveau texte. De nouveau pour contrôler l’immigration et améliorer l’intégration dites-vous.

L’immigration, ce sont avant tout des immigrés, des hommes, des femmes, des enfants, des ados, avec leurs situations particulières, leurs parcours, leurs aspirations, leurs difficultés. Et des difficultés, il y en a.

De lois en lois, le parcours administratif d’une personne étrangère en France est devenu de plus en plus indigne. La conception dissuasive des politiques françaises d’immigration est devenue un facteur de désordre permanent.

La situation de nombreux étrangers en France, parfois de mineurs, est marquée par l’extrême précarité et une succession perpétuelle d’obstacles : de l’accès aux préfectures et à l’OFII pour l’obtention ou le simple renouvellement d’un titre de séjour, en passant par l’accès au travail, jusqu’à une prise en charge médicale effective, tout est fait, texte après texte pour rendre leurs parcours chaotiques.

Un rapport de l’Assemblée nationale sur «les moyens des préfectures pour l’instruction des demandes de séjour» de 2021 décrit très précisément une situation qui a encore empiré depuis lors : du jour au lendemain, faute de rendez-vous, des personnes en situation parfaitement régulière, insérées professionnellement et socialement, basculent en situation irrégulière entre deux titres et perdent leurs droits.

Entre 2019 et 2022, les réclamations relatives aux droits des étrangers ont augmenté de 233 %, et le droit des étrangers est devenu le premier motif de saisine du Défenseur des Droits, passant de 10 % des réclamations reçues par l’institution à 24 %. Cet accroissement concerne essentiellement l’obtention de rendez-vous, les difficultés en lien avec la dématérialisation des guichets et les délais d’instruction excessifs.

Cette “mise en désordre” de l’immigration et ce renoncement à nos valeurs se manifeste aussi et en premier lieu à nos frontières. Le rétablissement des frontières depuis 2015, sans cesse renouvelé, entre la France et l’Italie est le symbole de l’absurdité de cette politique.

Une frontière de plus en plus militarisée, avec des effectifs de plus en plus nombreux mais qui n’ont pour seul effet que de rendre plus dangereuse la traversée des montagnes. Et qui malgré la solidarité des montagnards, provoque régulièrement des drames. Il y a 2 semaines, un homme est mort dans la Durance, la rivière qui coule vers Briançon, alors qu’il tentait d’échapper à un contrôle. Cela n’est pas acceptable.

Alors disons-le. Un contrôle aux frontières. Entre la France et l’Italie. C’est l’idéal européen qui meurt à petit feu, à chaque fois qu’on renouvelle le rétablissement de la frontière entre nos pays.

Face à cela Monsieur le ministre, vous nous proposez donc de “contrôler l’immigration et améliorer l’intégration”. Contrôler, avec un mot d’ordre clair, que vous répétez à l’envi devant les médias et les hémicycles : fermeté, fermeté et fermeté. Pourquoi ? Les motivations réelles de ce texte restent floues.

Le Conseil d’Etat comme le Défenseur des droits ont manifesté clairement leur regret face à l’absence de motivation sérieuse à ce texte : l’exposé des motifs et l’étude d’impact ne permettent pas d’apprécier la mesure des phénomènes que le projet de loi devrait réguler ou l’inefficacité des dispositions législatives actuelles pour atteindre les objectifs visés” nous dit ainsi le Défenseur des Droits.

Du fait de la faiblesse de l’exposé des motifs et de l’étude d’impact, le même Défenseur des droits s’inquiétait déjà en février dernier dans son avis que “Le débat public risque d’être sous-tendu par des représentations erronées, voire discriminatoires, de l’immigration.” On peut dire que le Défenseur des Droits ne s’était pas trompé.

Dans votre texte, ces représentations erronées se manifestent clairement par le renforcement de l’arbitraire administratif. Pour vous, comme pour vos prédécesseurs, le sérieux d’une politique migratoire réside uniquement dans notre capacité à expulser.

Donc vous pré-supposez qu’en multipliant la distribution des obligations de quitter le territoire français, en ajoutant contraintes et arbitraire administratif sur les personnes étrangères présentes sur notre territoire, vous afficherez la fermeté propre à votre ambition politique, mais la réalité on la connait : vous n’allez qu’amplifier le désordre et la précarité.

Quand la machine administrative, broie arbitrairement par son organisation ou plutôt son incurie, la vie des personnes étrangères, elle alimente aussi le désarroi des agents des préfectures, ou des travailleurs sociaux.

Pour autant, est-ce que ce texte va réduire le contentieux ?

Le Conseil d’Etat, dans son avis, douche vos espoirs : “ la réforme ne permettra pas, par elle-même, de limiter la part substantielle et croissante du contentieux des étrangers dans l’activité de la juridiction administrative”.

Ce tour de vis législatif supplémentaire va en revanche impacter la vie de personnes, pourtant installées depuis longtemps sur notre territoire. La loi prévoit ainsi des capacités élargies de lever la protection particulière. Pour rappel, cette protection vise à empêcher de prononcer des OQTF à l’encontre des étrangers qui sont soit père ou mère d’un enfant français mineur résidant en France, mariés à un ou une française, qui résident en France depuis plus de 10 ans ou qui justifient d’un domicile régulier en France depuis la veille de leur 13 ans. Pour toutes ces personnes donc, une OQTF pourra être prononcée, non pas, comme c’est le cas aujourd’hui, si elles ont été condamnées à plus de 5 ans de prison, mais si elles ont été condamnées pour un délit passible de 5 ans d’emprisonnement.

Au-delà de la distorsion évidente de l’égalité face à la loi de toutes de et tous – un étranger est ainsi reconnu coupable du maximum de la peine encourue. C’est évidemment la logique de la double peine qui fait son retour complet ici.

Durcissement toujours, au sein du texte que nous examinons aujourd’hui, et cette fois-ci cela concerne la santé même des personnes étrangères. La majorité sénatoriale au Sénat propose – on ne sait plus trop si c’est avec votre assentiment personnel Monsieur le ministre – de remplacer l’Aide médicale d’Etat par une Aide médicale d’urgence. Un accord vaut visiblement bien la mise en danger de la santé des français comme des étrangers.

Les arguments de la majorité sénatoriale ici on les connait bien : l’AME coûte cher et son maintien constitue un appel d’air à l’immigration illégale. Peu importe que chaque année, plusieurs collègues rappellent que ces deux arguments sont faux. Le coût des soins couverts par l’AME et du dispositif des soins urgents et vitaux ne représente que 0,4% des dépenses de l’Assurance maladie en France et seules 51 % des personnes qui y sont éligibles demandent à recourir à l’AME. Pour des raisons comptables et idéologiques, on fragilise la santé des personnes, mais aussi – ça paraît évident – de toute la population.

Enfin, les débats qui ont entouré ce texte ont évidemment – c’est presque devenu une coutume ici – touché les associations et les bénévoles, cette fois, évidemment celles et ceux qui font vivre nos valeurs républicaines en accompagnant les personnes migrantes dans leurs parcours.

Vous Monsieur le ministre, vous vous en êtes pris directement à la Cimade récemment. Mais ce sont toutes les associations d’aides aux personnes migrantes qui sont entravées dans leur action et harcelées parfois par nos forces de police. Je l’ai moi-même constaté lors d’une maraude avec les équipes de Médecins du Monde. Mais ce constat est largement documenté au-delà de ma personne.

Ces associations visent simplement au respect du droit, à la protection des plus fragiles. Ce sont des vigies permanentes qui nous alertent sur l’indignité de nos politiques migratoires et pallient aux manques d’investissement de l’Etat.

Une fois détaillé ainsi le catalogue des mesures de contrôle, de fermeté et de répression, il est temps maintenant de parler intégration. La carotte après le bâton. Et la carotte est bien maigre, c’est le moins que l’on puisse dire.

Penchons nous d’abord sur l’intégration par la langue française. Nous pourrions imaginer ici que cette intégration se manifeste par un renforcement de l’accès aux formations et aux cours, mais la finalité est toute autre. Le niveau de langue devient un outil d’exclusion, un motif de refus de titre, une inversion même des objectifs fixés.

“La mesure a pour objectif d’inciter les étrangers qui souhaitent demeurer durablement sur le territoire à se mobiliser davantage dans leur apprentissage du français, de manière à favoriser leur intégration en France.” nous dit l’exposé des motifs de votre texte.

L’incitation par le refus de carte de séjour. Drôle de carotte. Cette mesure “d’incitation” a tellement plu à la droite d’opposition qu’elle l’a rendue plus excluante encore. Sans même se préoccuper de renforcer cours et formation.

Alors certes, nous aurions voulu voter l’article 3 de ce texte.

Nous avons toujours défendu la régularisation des travailleurs sans papiers. Lorsqu’on travaille ici, que souvent, on cotise ici, il est logique de bénéficier des mêmes droits que les autres travailleurs.

Il est vrai qu’au début du texte Olivier Dussopt vous accompagnait dans vos entretiens, qu’il en assurait la défense. Il a disparu depuis quelques semaines. Tout comme a disparu la valeur travail du logiciel de la droite sénatoriale qui en a fait le casus belli indépassable. Oui il faut s’y faire, désormais la droite dite républicaine préfère défendre le travail au noir et l’exploitation des clandestins.

Mais même vous, Monsieur le ministre, vous souhaitez tout de même une bonne période de clandestinité en amont de la demande de votre titre de séjour métiers en tension. Il faudra que la personne étrangère sans droit ni titre, vive dans l’ombre, esquive les contrôles pendant trois ans, travaille sans droits réels pendant huit mois pour obtenir son titre lui permettant de travailler légalement.

L’égalité des droits ajustée par la loi du marché et les hasards de la vie. Soit. Si ça permet d’avoir d’autres portes de régularisation que la circulaire dite Valls, nous pourrions nous laisser convaincre.

Dans les jours qui viennent mes chers collègues, vous allez jouer l’avenir de milliers de travailleuses et travailleurs dans un calcul des plus cyniques.

Une autre voie est pourtant possible. Pas moins ferme. Pas moins Républicaine. La crise ukrainienne et les moyens exceptionnels déployés en un temps record en matière d’hébergement, de transports ou d’aides financières ont témoigné de la force de nos capacité de mobilisation et d’accueil, si on accepte un changement de rapports dans les liens entre l’Etat, les collectivités et les acteurs de la solidarité. Cela demande une approche radicalement différente.

Pourtant nous nous retrouvons aujourd’hui avec une loi dans la lignée des dizaines d’autres qui l’ont précédée, qui ne répond pas aux enjeux actuels en termes de migration et d’intégration. Une fois de plus, ce projet de loi passe à côté de la réalité vécue par les personnes étrangères.

Un texte qui va dégrader la situation au lieu de l’améliorer.

L’insertion économique et sociale, l’accès au droit, à la formation, l’accès au soin, la protection des mineurs, bref la garantie de conditions d’accueil dignes demandent de sortir de l’approche centrée sur les questions sécuritaires. Elle demande une approche centrée sur les parcours d’hommes et de femmes comme celles et ceux qui sont en tribune aujourd’hui, sur leurs aspirations et leur humanité.

Ce texte prend une direction radicalement inverse et c’est pourquoi nous vous proposons de voter cette motion de rejet.

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