Monsieur le premier président de la cour des comptes,
Mes chers collègues,
Cette année le Rapport annuel de la Cour des Comptes nous pose – à travers ses plus de 600 pages – une question simple : compte tenu de l’importance du budget qui est consacré aux politiques de jeunesse, chaque jeune français quels que soient son lieu de naissance, son genre ou son origine sociale a-t-il les mêmes opportunités pour construire son avenir ?
On parle en effet ici de pas moins de 2% du PIB et 12% du budget de l’État en 2023 dédié à la jeunesse.
Concernant l’accès à l’éducation et à la formation – puisqu’il s’agit en volume du plus gros poste de dépense – bien que la France se situe au-dessus de la moyenne de l’OCDE pour le taux de diplômés de l’enseignement supérieur (49,4%), des inégalités profondes persistent liés à des déterminismes sociaux, de genre et territoriaux. Déterminismes parfois cumulatifs.
Le bilan est sévère : oui l’orientation continue d’être perçue comme une voie par défaut et reste influencée par les stéréotypes socio-économiques et géographiques, avec pour conséquence de limiter les ambitions des jeunes.
Plus grave et qui doit nous interpeller, dans la chambre des territoires : les inégalités territoriales restent très importantes dans l’accès à une solution de formation malgré la loi de 2019. Avec une vraie rupture d’égalité pour la jeunesse des territoires ruraux. Le taux de diplômés de l’enseignement supérieur varie selon les régions et diminue à mesure que l’on s’éloigne des grandes métropoles.
Les chiffres sont édifiants : 20 % de diplômés de l’enseignement supérieur dans les territoires ruraux en 2020, contre près de 32 % en France métropolitaine. Nous ne pouvons tolérer cette ségrégation territoriale qui mine notre pacte républicain.
Intégrer le poids du critère d’éloignement géographique dans le calcul des bourses sur critères sociaux pour tenir compte du surcoût de la mobilité pour les jeunes des territoires les plus éloignés comme le recommande la Cour doit nous inspirer dans nos futurs débats.
En effet, cette inégalité territoriale frappe aussi la jeunesse rurale en matière d’accès à la mobilité. La Cour le rappelle : la première contrainte à la mobilité n’est pas le prix mais le manque d’offres de transport, notamment dans les zones périurbaines et rurales.
Un exemple simple mais parlant : 38 % des jeunes ruraux de 15 à 29 ans ont renoncé à un entretien d’embauche en raison de difficultés de déplacement.
Construire une offre de déplacement pour la jeunesse dans les territoires moins denses demande de la coordination entre autorités organisatrices de mobilités mais aussi des investissements. Les contraintes financières accrues pesant sur le budget des transports risquent de perpétuer les inégalités territoriales. Nos débats budgétaires sur le financement des mobilités seront donc cruciaux si nous voulons les résorber.
Une bonne partie du rapport est dédiée à l’aide sociale à l’enfance. Elle est édifiante. En France, près de 397 000 mineurs et jeunes majeurs font l’objet d’une mesure de protection dans le cadre de l’aide sociale à l’enfance (ASE) en 2022. 221 000 d’entre eux sont accueillis et hébergés, dont plus de 31 900 jeunes majeurs.
La loi du 7 février 2022 relative à la protection des enfants a rendu obligatoire la prise en charge jusqu’à 21 ans des jeunes majeurs issus de l’ASE qui « ne bénéficient pas de ressources ou d’un soutien familial suffisants ».
Là encore les disparités sont frappantes : certains départements mobilisent quatre fois plus de moyens que d’autres. Le taux de prise en charge des jeunes issus de l’ASE varie de 38 % à 83 % selon les départements contrôlés. Certes les départements ont une latitude pour exercer leur compétence, mais l’ampleur de l’écart doit nous interroger, le rapport de la Cour questionne – à juste titre – l’égalité de l’usager du service public en la matière.
Le temps m’est compté et le rapport aborde un éventail très large des politiques de jeunesse que je ne pourrais évoquer de façon exhaustive. Je vais tout de même consacrer la fin de mon intervention à la partie qui concerne les addictions des jeunes et nos politiques de réduction des risques. Il est intéressant alors qu’une proposition de loi de lutte contre le narcotrafic est en train d’être débattue, de nous pencher sur le volet sanitaire et la prévention en matière d’addiction. Tout ceci est lié.
Les chiffres sont encore une fois éloquents : 46,3 % des jeunes âgés de 18 à 24 ans en 2023 disaient avoir consommé au moins une fois dans leur vie du cannabis. 3,5 % affirment en faire un usage quotidien. 230 000 jeunes seraient concernés par les addictions au cannabis. Si on n’intègre pas ces ordres de grandeur alors on ne sera jamais à la hauteur de l’enjeu, quel que soit l’approche répressive qu’on pourra avoir sur les trafics. Oui les pratiques récréatives, à risques, sont particulièrement répandues dans la jeunesse française.
La Cour le rappelle : le repérage, l’accompagnement et la prise en charge des jeunes souffrant d’addictions font intervenir la médecine de ville, l’hôpital et le secteur médico-social et devrait mieux impliquer l’école. Mais aujourd’hui les soins ou nos politiques de réduction des risques sont au choix peu financées, mal coordonnées ou inadaptées.
L’approche ultra répressive des comportements addictifs choisie par la France depuis 1970 est une impasse. C’est l’approche sanitaire et éducative en direction des jeunes consommateurs qui permettra de lutter contre les addictions.
Ce rapport de la Cour de comptes doit nous inviter à renverser notre approche en la matière. Il en va de l’avenir de notre jeunesse. Je vous remercie.